Molly

Molly

Jeudi 17 juin 2010 à 20:27

 
 
Alors que sa fille Molly a disparu il y a bientôt cinq ans, Mattew Smith décide de faire appel à Gregory Laurent, détective privé. Le jeune homme, bien que tourmenté par le suicide de sa femme, accepte de mener son enquête.

Où est Molly ? Pourquoi Margaret s'est-elle tuée ? Deux questions auxquelles il se doit de répondre... avec toutes les conséquences que cela implique.

Jeudi 17 juin 2010 à 20:36

-Maggie ? Je suis rentré !! L'affaire est enfin bouclée, et tu ne devineras jamais qui j'ai rencontré !... Maggie ? chérie, tu es là ?

   Ne recevant aucune réponse de la part de sa femme, Gregory posa ses clés dans le panier en osier où s'entassaient boutons de chemises, tickets de caisse, numéros de téléphone et s'avança dans le salon. Les volets étaient tous fermés et dans la pièce flottait une odeur ferreuse qu'il connaissait bien. Il s'empressa d'allumer le lustre. Par terre, étendue sur le tapis, gisait Margaret, dans une marre de sang. Nora, sa fille de deux ans barbotait dans le liquide rouge avec toute l'innocence d'une enfant de son âge, sans se rendre compte de l'atrocité de la situation.

 

  Gregory se réveilla en sursaut une fois de plus. Cela faisait maintenant plus de trois ans que ses nuits étaient rythmées par ce même cauchemar. Cauchemar qui n'en était pas un.

  En 2007, Margaret, sa femme, s'était donnée la mort d'une balle dans la tête dans leur maison familiale, sous les yeux de leur fille Nora. C'est Gregory qui les avait trouvées toutes les deux, dans le salon.

  Détective privé, pour son propre compte, il avait passé plus de deux semaines à New York sur la piste d'un adolescent en fugue. Une affaire éprouvante physiquement qu'il avait menée jusqu'au bout comme à chaque fois. Ses absences répétées, Margaret ne s'en plaignait pas, elle l'assistait même dans la plupart des affaires. Mais elle se faisait toujours une joie de le voir rentrer, craignant sûrement inconsciemment qu'un jour une enquête le dépasse, qu'on s'en prenne à lui, et qu'il ne revienne jamais. Au fil des années, une sorte de rituel s'était mis en place lors de son retour, Margaret commandait un plat grandiose chez le traiteur du quartier, elle cuisinait un gâteau aux amandes dont elle seule avait le secret et habillait Nora avec sa plus belle robe. Quand il franchissait la porte, toutes les deux lui sautaient dans les bras et la soirée se déroulait le plus sereinement du monde entre les marques d'affection de Margaret et les sourires de Nora.

Mais ce soir là, rien ne s'était passé comme d'habitude.

-MAGGIE !!!! Hurla Gregory en se jeta sur le corps sans vie sa femme. Maggie !! Je t'en supplie chérie réponds-moi !!

  Il posa deux de ses doigts sur son cou espérant y percevoir un pouls. Mais rien. Plus aucune pression dans la carotide. Il prit sa fille dans ses bras et se précipita vers le téléphone pour appeler une ambulance tout en sachant que ça ne ramènerait pas Margaret. La balle avait perforé le temporal gauche et était ressortie de l'autre côté. Elle était morte sur le coup puis s'était vidée de son sang. Des suicides comme celui-là, il en avait vu des dizaines depuis qu'il s'était lancé dans l'investigation, il avait su tout de suite, en posant ses yeux sur l'impact, quelle arme elle avait utilisée: un 9mm, tout ce qu'il y a de plus courant en Europe. Mais pas n'importe quel 9mm. Son 9mm, celui qu'il avait acheté à un revendeur malhonnête un jour dans les rues de la capitale. Margaret connaissait son existence, "si jamais quelqu'un cherche à vous faire du mal, n'hésite pas, vise la tête.", voilà ce qu'il lui avait dit. Jamais il n'aurait imaginé que l'arme pourrait se retourner contre elle.

  Aucune enquête n'avait été menée, il ne faisait aucun doute que la jeune femme s'était suicidée, tous les protagonistes s'accordaient sur ce point: le commissaire, le médecin légiste, et Gregory lui-même. La caméra de surveillance, placée par Gregory lors d'une affaire à risque n'avait fait qu'ôter l'infime incertitude qui persistait dans son esprit. On y voyait très clairement Margaret, pistolet dans la main, embrasser sa fille, glisser une lettre entre deux livres de la bibliothèque pour finalement appuyer sur la détente et s'écrouler.

  Gregory avait misé tous ses espoirs sur cette fameuse lettre, espérant qu'elle l'aiderait à comprendre l'acte de sa femme. Il avait attendu d'être au calme, loin des policiers et des journalistes antipathiques dont le seul but était d'écrire un article choc pour la déplier.

"Pardon".

Pardon. Un mot. Un seul. Gregory n'avait pas pu retenir ses larmes.

Vendredi 18 juin 2010 à 21:43

  Comme tous les jours, Gregory s'était levé aux aurores. Son visage était marqué par la fatigue et les cernes sous ses yeux lui faisaient prendre au moins dix ans. Sa vie, il l'avait toujours imaginée paisible, il avait toujours voulu devenir un bon père de famille, un mari aimant, un amant idéal, un homme accompli. Son enfance, il l'avait passée dans les HLM parisiens, avec une mère alcoolique et un père absent, mais il avait vite compris qu'en travaillant comme un acharné, en essayant au maximum d'éviter les escrocs et autres scélérats de sa cité, il finirait par se sortir de ce monde qui ne lui correspondait pas. Et effectivement, après avoir brillé dans ses études secondaires, il avait rapidement intégré un petit commissariat dans la banlieue chic d'Herblay.
 
  Et puis il avait rencontré Margaret, une jeune anglaise, elle avait 22 ans à cette époque, lui 24. Il avait tout plaqué pour partir vivre avec elle à Bordeaux. Le charme de la ville, ses façades du 18ème siècle, ses jardins, son climat avaient fait qu'il s'était tout de suite senti comme chez lui. Margaret occupait un vieil appartement dans le quartier des Chartrons et étudiait le Droit à l'université. Gregory avait alors monté sa propre affaire et la chambre d'amis lui faisait office de société. Il avait rangé son uniforme de flic pour enfiler celui de détective privé. Il travaillait pour lui, n'avait de compte à rendre à personne, pouvait gérer son business comme il l'entendait. Pas de hiérarchie, pas de règles.

  Il s'était vite fait un nom dans la profession, ainsi qu'auprès des policiers de la ville qui n'approuvaient que très rarement ses méthodes. Gregory soupçonnait qu'il y ait là un peu de jalousie de leur part, il parvenait à résoudre les enquêtes qu'ils avaient bien du mal à classer et souvent ses clients qui venaient le voir après s'être adressés à eux avaient la fâcheuse tendance à blâmer la police pour son incompétence. Lui ne cherchait pas à l'attaquer, il parvenait en général à les ramener à la raison, expliquant qu'il était bien plus facile de réussir à dénouer une affaire en ne se concentrant que sur elle, en disposant de tout le temps nécessaire, ce que n'avaient pas les policiers. La plupart de ses clients étaient des clientes cherchant la preuve de l'infidélité de leur mari pour toucher le pactole lors du divorce ou bien des parents inquiets, sans nouvelle de leur enfant tout juste majeur et qui ne pouvaient donc pas entamer une procédure "en règle". Bien sûr, comme tout détective, il était déjà tombé sur des cas qu'il qualifiait de "critiques", notamment à ses débuts, des affaires tout droit sorties de polars dont il ne voyait jamais le bout et qu'il finissait par abandonner faute de pistes convaincantes.

  Alors qu'il flânait dans l'appartement depuis une bonne vingtaine de minutes, il se décida enfin à aller boire un café dans la cuisine. Mais alors qu'il allumait la lumière, l'interphone sonna, réveillant la petite Nora. Les murs étant très mal insonorisés, il courut vers l'appareil pour répondre avant de s'attirer les foudres de ses chers voisins.
A peine avait-il décroché qu'une voix grave se fit entendre.
  -Monsieur Laurent ?
  -Je...oui c'est moi. marmonna Gregory encore à moitié endormi.
  -Je m'appelle Mattew, Mattew Smith et il faut que je vous parle.
  -Oui eh bien écoutez-moi, il est... Il jeta un rapide coup d'oeil vers l'unique horloge de la maison. Il est 4h10, on est dimanche, vous venez de me réveiller et...
  -Je ne vous ai pas réveillé.
  -Pardon ?
  -Je ne vous ai pas réveillé. J'étais en bas, dans ma voiture, j'attendais de voir de la lumière dans l'appartement pour sonner. Vous avez allumé la lumière et j'ai sonné. Donc à moins que vous ne soyez somnambule ou je ne sais quoi, vous étiez bel et bien éveillé.
  Gregory passa une main dans ses cheveux et se frotta les yeux. 
  -Ouais ouais ok. Vous avez raison. Mais ça ne vous donne pas le droit de venir m'agresser à 4h du mat'...
  -Qui a dit que je vous agressais ? Je veux simplement vous parler. Laissez-moi vous parler. Après, vous pourrez me jeter dehors, prévenir les flics même si ça vous chante. Mais accordez-moi juste cinq minutes.

  Le harcèlement, Gregory connaissait, il en avait déjà été la victime. C'était un des risques de son métier. Parfois en rentrant chez lui, il s'apercevait qu'une voiture le suivait, ou alors son téléphone sonnait et il n'y avait personne à l'autre bout du fil... Ca ne durait jamais bien longtemps. Il finissait toujours par trouver les coupables et savourait l'instant où il les remettait à la police.
  Mais cet homme qui voulait lui parler n'avait rien d'un fou ou d'un maniaque. C'était un homme marqué, il le sentait au son de sa voix.

  -Bien. Montez. finit-il par dire en soupirant.


Samedi 19 juin 2010 à 22:52


  Quand des bruits de pas se firent entendre dans l'escalier, Gregory ouvrit la porte de son appartement. Mattew Smith avait 35 ans, mais il paraissait en avoir plus de 40. Avec sa barbe de plusieurs jours, ses cheveux tout juste coiffés et ses vêtements, un simple tunisien noir et un vieux jean bleu, l'homme faisait peur à voir. Gregory le dévisagea avec insistance. Il lui faisait penser à son père sur les seules photos de lui que sa mère avait bien daigné lui montrer. Malgré ses yeux d'un bleu tirant sur le vert illuminant son visage, il avait un regard vide. A sa main gauche, Gregory nota la présence d'une alliance. Un simple anneau argenté, presqu'identique au sien. Gregory n'avait plus porté son alliance depuis le suicide de Margaret, il l'avait rangé dans une des vieilles boites à bijoux que la jeune femme avait héritées de sa grand-mère. Une boite en bois noir décorée d'un paysage doré et recouverte à l'intérieur de velours rouge, avec à son centre une petite danseuse en tutu qui tournait et une douce mélodie qui s'en échappait.
Monsieur Smith serra la main que lui tendait Gregory et entra dans le salon. Sa démarche était lente, comme pesante. Gregory l'invita à s'assoir sur le canapé tandis qu'il se dirigeait vers la chambre de Nora. La petite fille qui avait entendu du bruit était assise au bord de son lit, son ourson en peluche serré contre elle.
  -Nora, chérie, il faut que tu dormes. Fais-moi plaisir tu veux, rendors-toi.
Elle fit non de la tête et leva les bras vers son père.
  -Il est très tôt, retourne te coucher. insista-t-il.
Mais elle ne bougea pas.
  -Bon d'accord. Allez viens là. dit-il en la prenant dans ses bras.

  De retour dans le salon, Gregory s'installa avec sa fille dans un vieux fauteuil en cuir marron. Nora fit un sourire à l'invité de son père qui lui rendit la pareille.
  -Comment tu t'appelles ? lui demanda-t-il.
Mais elle ne répondit rien.
  -Nora. fit Gregory à la place de sa fille.
  -Nora. C'est un très joli prénom que tu as. Et quel âge as-tu ?
  -5 ans. Nora parle très peu. dit Gregory pour éviter les nouvelles questions.
En effet, la petite fille souffrait d'un important retard de langage, sans doute du à un "stress post traumatique" selon les multiples médecins et orthophonistes qui avaient rencontré Nora. Elle aurait gardé en mémoire le jour du suicide de sa mère et ce refoulement lui causerait des troubles fonctionnels et moteurs non négligeables.
  -De quoi vouliez-vous me parler ? enchaina Gregory.
  -De ma fille Molly.
  -Elle a fugué ?
  -Elle a disparu. Elle avait tout juste deux mois.
L'homme était direct, il allait à l'essentiel. Gregory aimait ce genre de personnages qui ne se perdaient pas en détails futiles ou en belles paroles. Néanmoins, il eut du mal à trouver ses mots.
  -Et quand... quand l'avez-vous vu pour la dernière fois ?
  -Il y a bientôt cinq ans.
  -Cinq ans ?!
  -Oui... Un soir, ma femme m'a appelé en pleurs, elle était partie promener Molly dans l'après-midi. Un homme cagoulé l'a agressée, elle a perdu connaissance. Quand elle est revenue à elle, le landau était vide.
  -Pas de témoins ?
  -Aucun. La rue était déserte.
  -Quelle rue ?
  -Rue des Argentiers.
  -Ici ? A bordeaux ?! demanda Gregory, s'étonnant de ne jamais avoir eu vent de cette disparition.
  -Oui.
  -Et depuis, rien ? Pas même une demande de rançon ?
  -Rien. La police n'a rien trouvé. Aucune trace de l'agresseur. On a cherché partout, dans les orphelinats, dans les foyers, même sur internet...
  -Sur internet ?
  -Oui... Vous savez, avec tout ce qu'on voit maintenant... Je n'aurais pas été surpris de la voir mise aux enchères sur Ebay... Mais ça n'a rien donné.
Un silence pesant plâna dans l'appartement pendant quelques longues secondes.  Une affaire comme celle-ci, faisait partie des cas "critiques" de Gregory. 
  -Qu'attendez-vous de moi ? interrogea-t-il enfin.
  -Je veux que vous retrouviez Molly. dit simplement Monsieur Smith.
  -Je ne vois pas comment je...
  -Je vous paierai. Ma famille est riche, de l'argent j'en ai.
  -Ce n'est pas une question d'argent, je...
  -Je vous en supplie... Mettez-vous à ma place... J'ai besoin de savoir ce qui est arrivé à Molly...
  -Bien... Je vais voir ce que je peux faire... Mais je ne vous promets absolument rien. finit par dire Gregory, tout en sachant pertinemment que c'était perdu d'avance.

Lundi 28 juin 2010 à 18:56


http://molly.cowblog.fr/images/image/molly.jpg


  En cette fin du mois de juin, la chaleur se faisait pesante, et même en plein milieu de la nuit, il n'était pas rare d'atteindre les 23°C. Mattew Smith regagna sa voiture, une Mercedes noire avec vitres teintées, comme tout droit sortie d'une série télévisée. Instinctivement, il roula jusqu'à chez lui où l'attendait sa femme Clarence. La jeune femme n'avait pas réussi à fermer l'œil, aujourd'hui plus que tout autre jour, elle avait revécu l'enlèvement de sa petite fille et espérait sans trop y croire que le détective engagé par son mari parviendrait à apporter des réponses à leurs éternelles questions.
   -Mattew ? C'est toi ? demanda-t-elle en entendant la porte de l'appartement claquer.
   -Oui. dit-il simplement en se dirigeant vers le balcon.
Son entrevue avec Gregory l'avait bouleversé. Depuis cinq ans, il ne cessait d'imaginer comment pourrait être Molly, son visage, ses yeux bleus-gris,  son sourire, peut-être même de jolies petites boucles blondes dans ses cheveux à la Emilie Jolie... sans réellement y parvenir. Croiser des enfants de l'âge de sa fille était devenu pour lui un calvaire, il ne pouvait s'empêcher de se mettre en tête que peut-être parmi eux se trouvait Molly. Il repensa à la petite Nora en se disant qu'il aurait aimé que Molly lui ressemble.
Sur la seule photo de Molly que Mattew avait accepté de laisser dans leur salon, elle n'était encore qu'un bébé, blottie dans les bras de sa mère, elle portait une petite robe à fleurs rose. Cette même robe qu'elle portait le jour de sa disparition. C'était l'unique image qu'il conservait d'elle, tout le reste s'était comme volatilisé au fil du temps.

De son balcon, Mattew avait une vue imprenable sur le cours de l'intendance et pouvait observer avec un certain malaise une bande de jeunes en train de se saouler sur les marches du grand théâtre.
   -Est-ce que ça va ? questionna Clarence
   -Ils me font penser à Peter. dit Mattew en pointant du doigt les jeunes. Quand papa et maman sont morts, il a commencé à avoir de mauvaises fréquentations, il rentrait complètement bourré en plein milieu de la nuit, il fumait toutes sortes de drogues...
   -Ce n'est pas ta faute...
   -Je sais. Mais j'étais son grand frère, j'aurais du lui venir en aide...
   -Tu l'as fait.
   -Ouais tu parles... Le dénoncer aux flics aura sans doute été la plus grande erreur de ma vie.
Clarence ne répondit rien, elle passa simplement une main sur l'épaule de son mari.

   -Et pour Molly ? finit-elle par demander.
   -Il va essayer de nous aider. Il doit passer te voir dans la journée pour te poser des questions. Il veut retracer ton parcours de l'appartement jusqu'à la rue des Argentiers.
   -Mais la police a déjà procédé à la reconstitution...
   -C'est ce que je lui ai dit. Mais il y tient. Visualiser en direct le trajet sera pour lui bien plus clair que de lire un rapport datant de bientôt cinq ans...
   -Oui, je vois. A quelle heure doit-il venir ?
   -A 15h et il veut que tu prennes le landau de Molly avec toi.
   -Mais pour quoi faire ?!
   -Je n'ai pas très bien saisi, mais fait tout ce qu'il te demande. Il est notre dernière chance.
Il déposa un baiser sur le front de sa femme et alla s'allonger sur leur lit espérant qu'elle ne verrait pas les larmes naissant aux coins de ses yeux.

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