Molly

Molly

Samedi 7 août 2010 à 1:29

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  Le début du trajet se déroula sans le moindre bruit. Clarence paraissait extrêmement concentrée, elle marchait à faible allure, observait tous les bâtiments, jetait des coups d’œil furtifs à chaque carrefour. De temps à autre, dans les points stratégiques, Gregory prenait des photos avec son reflex. Ces photos se retrouveraient accrochées sur le mur derrière son bureau, comme toutes celles qui concerneraient l’affaire « Molly ». En ce lundi après-midi, dans chaque rue affluaient des passants, la ville était vivante, animée, la disparition d’un bébé à cet instant semblait irréelle, et pourtant, c’est bien dans ce contexte que la petite Molly avait été arrachée à sa mère.
Ils marchaient depuis moins de cinq minutes quand un homme s’avança vers eux.
  -Bonjour, excusez-moi de vous déranger, est-ce que vous auriez l’heure s’il-vous-plait ? J’ai oublié mon portable chez moi et j’ai rendez-vous avec un ami…
  -Oui bien sûr. Répondit Clarence tout en fouillant dans son sac à main. 15h45.
  -Merci !
  -De rien, bonne journée.
  -Bonne journée à vous aussi.
Alors qu’elle rangeait son téléphone, elle s’immobilisa et pâlit.
  -Ca ne va pas ? demanda Gregory en la prenant par l’épaule.
  -Je viens de me souvenir de quelque chose… mais ce n’est sans doute rien, je…
  -Dites-moi. La coupa Gregory.
  -Le jour de la disparition de Molly, un homme est venu me demander l’heure exactement comme maintenant. Je l’avais aperçu, il était à une dizaine de mètres et se dirigeait vers nous, il ressemblait tellement à Mattew que j’étais persuadée que c’était lui alors j’ai accéléré le pas. Je me suis rendue compte de mon erreur, je lui ai donné l’heure et il est reparti.
  -Où étiez-vous ?
  -Un peu plus loin, rue de la Devise il me semble…
  -Vous pourriez le décrire assez précisément pour que j’établisse un portrait robot ?
  -Je ne sais pas… Je pourrai essayer.
  -Parfait, vous viendrez chez moi demain si vous êtes libre, je dispose de tous les logiciels nécessaires, avec un peu de chance, ça donnera un bon résultat. J’aimerais aussi que vous m’apportiez une photo de Molly.
  -Oui bien sûr, sans problème. Je pourrai passer vers 9h.
  -Bien. Continuons.
Ils marchèrent encore deux ou trois minutes  et arrivèrent enfin rue des Argentiers. A part un couple âgé qui semblait effectuer sa promenade de la journée, la rue était déserte.
  -C’était là. Dit Clarence en désignant une librairie.
  -« La mauvaise réputation ». Drôle d’enseigne…
  -C’est une librairie un peu décalée, qui propose des livres de petites maisons d’éditions, des romans un peu particuliers si vous voyez ce que je veux dire… bref, des titres qu’on ne trouve pas en librairie classique.
  -Je vois. Et c’est devant cette boutique qu’on vous a agressé ?
  -Oui, sur le trottoir d’en face. Au 12.
  -Personne à l’intérieur n’a rien vu ?
  -Non, ce jour-là, le magasin était fermé.

  Gregory mitrailla la zone. Il prit des clichés sous tous les angles, observa, toucha la pierre des bâtiments comme pour s’imprégner des lieux.

Soudain, alors que sa présence s’était faite presque oubliée, Nora tira la manche de son père.
  -Papa, je veux rentrer. Bredouilla-t-elle. 

  Surpris d’entendre sa fille quasi muette prononcer ces quelques mots, Gregory décida d’accéder à sa requête. Il salua Clarence et prit un bus pour se rendre jusqu’à sa voiture.
Alors qu’il conduisait, Gregory jeta un regard dans le rétroviseur central pour voir le visage de Nora. Chaque fois qu’il posait ses yeux sur elle, c’était comme s’il les posait sur Margaret, elles se ressemblaient tellement… Elle observait le paysage à travers la fenêtre tout à fait naturellement. Gregory ne comprenait pas sa fille. Elle pouvait passer plusieurs semaines sans formuler la moindre phrase et sans qu’il ne s’y attende, elle venait lui chuchoter quelques paroles ou fredonnait l’air d’une chanson.
  -Pourquoi est-ce que tu voulais rentrer mon cœur ? demanda-t-il un peu plus loin sur le chemin avec toute la douceur possible.
  Mais Nora s’était endormie.

  Clarence aussi était rentrée chez elle. Mattew l’attendait dans le salon, elle lui relata sa rencontre avec Gregory, lui expliqua qu’elle le trouvait plutôt étrange mais impliqué et qu’il lui fallait une photo de Molly pour le lendemain.
  Mattew tira une trappe dans le plafond de la salle de bain et à l’aide d’une échelle monta dans le grenier. Il revint s’assoir sur le sofa avec un vieil album photo couvert de poussière, Clarence lui jeta un regard interrogateur, jamais elle n’avait vu cet album.
  Sur les premières pages s’étalaient l’enfance de Mattew, dans l’est londonien. Puis ses années à l’université, ses soirées avec ses amis, des paysages de toutes sortes… Au détour d’une page, Clarence eut un électrochoc, une sorte de spasme qui se propagea dans tout son corps.
  -Qui est-ce ?! demanda-t-elle en indiquant avec son index le visage  d’un homme qui se tenait à côté de son mari à ce moment-là plus jeune d’au moins dix ans.
  -C’est mon frère Peter, depuis le temps que je t’en parle…Maintenant tu sais à quoi il ressemble. Dit-il en esquissant un sourire.
  -Ton frère…
  -Chérie, ça ne va pas ? Tu fais une drôle de tête !
  -C’est l’homme qui m’a demandé l’heure.

Mercredi 11 août 2010 à 11:31

  Gregory errait dans son bureau. Les photos prises quelques heures plus tôt étaient à présent punaisées sur un immense tableau en liège qui couvrait presque toute la largeur du mur du fond. Cette nouvelle enquête redonnait un peu de piment à sa vie. Il avait désormais un but, devait sortir de son état quasi végétatif.
  A la mort de Margaret, il avait absolument tout tenté pour essayer de comprendre les raisons qui auraient pu la pousser à commettre un tel acte. Il avait questionné ses amis, fouillé son ordinateur portable, consulté tous ses mails, épluché les factures téléphoniques, visionné des heures et des heures de vidéos prises par la caméra de surveillance, faisant ainsi des bonds dans le passé de plusieurs mois…mais rien d’anormal. Absolument rien. Rien ne la prédisposait à se suicider. Et pourtant…on ne se suicide pas sur un coup de tête. 
  La première année, il avait culpabilisé, se disant qu’il aurait du être plus présent : il avait manqué les six premiers mois de la vie de sa fille, avait même failli être absent lors de l’accouchement…Peut-être que Margaret se sentait trop seule et qu’il n’avait rien vu…Peut-être…Gregory haïssait les théories, seul le concret avait sa place dans sa vie. Alors plongé dans le flou, sans aucune piste à laquelle s’accrocher, il s’était noyé et commençait à peine à refaire surface.

  Sa propre enquête piétinant, cela faisait bien longtemps qu’il n’avait pas eu le courage d’accepter la demande d’un client.
  Il espérait que la disparition de Molly avait un lien avec ce mystérieux inconnu qui était venu demander l’heure à sa mère. Si la ressemblance avec Mattew était si frappante qu’elle le disait, alors ce n’était pas un hasard. S’il trouvait cet homme, il était persuadé qu’il pourrait trouver la petite fille. Mais encore faudrait-il qu’elle soit toujours en vie…

  Cette nuit-là, Gregory resta dans son bureau, fixant les photos, comme si le simple fait de les regarder pourrait lui apporter les réponses qu’il attendait. Il dormit à peine deux ou trois heures, assis à son bureau la tête posée sur une pile de dossiers regroupant toutes les recherches qu’il avait effectuées sur sa femme et sur laquelle la poussière s’était accumulée jusqu’à faire partie intégrante de la couverture.

  Quand Nora fut réveillée, il lui prépara son petit déjeuner habituel : des céréales bien trop sucrés à son goût mais la petite fille ne jurant que par la gamme Kellogg’s, il s’était fait une raison. Il la laissa devant Dora l’exploratrice (espérant sans trop y croire qu’elle finirait un jour par répondre à son personnage fétiche comme tous les enfants de son âge) et se dirigea vers la salle de bain dans le but de reprendre apparence humaine.

  A neuf heures tapantes, Clarence et Mattew Smith sonnaient à l’interphone. Gregory les fit monter et ils s’installèrent dans le bureau qu’il avait pris la peine de ranger grossièrement. Clarence semblait ne pas tenir en place, elle faisait tourner son alliance autour de son index, remuait les jambes, jetait des regards inquiets à son mari. Celui-ci laissait également transparaître une certaine angoisse qui s’accrut lorsqu’il exposa la situation au détective.
  -Nous pensons savoir qui a enlevé Molly. dit-il tout en essayant de rester calme.
  -Qui ?! demanda Gregory, dérouté par cette révélation.
  -Mon frère Peter. Clarence l’a reconnu sur une photo. Je ne crois pas au hasard. Le jour de l’enlèvement de Molly, cela faisait plus de trois ans que j’étais sans nouvelles de lui.
  -Il avait des raisons de vous en vouloir ?
  -Vous savez, toutes les familles ont leur bête noire, aucune n’est parfaite. Peter était accro à l’héroïne, il s’était même mis à dealer. Je croyais l’aider en le dénonçant à la police… Il a passé plus de neuf mois en prison. Le jour de sa sortie, je suis venu le chercher, mais il était déjà parti. Je ne l’ai plus jamais revu, je n’ai aucune idée de ce qu’il a fait depuis…
  -J’ai cru comprendre que vous habitiez Londres… Je suppose qu’il n’a pas purgé sa peine en France…
  -Non c’est exact, il a été incarcéré dans la prison de Shrewsbury, aux abords du pays de Galles.
  -Il n’avait donc aucune raison de venir en France, plus précisément à Bordeaux ?
  -Non. Comme je vous l’ai dit, je ne crois pas aux coïncidences, j’ai traversé la Manche pour des raisons professionnelles. Je ne connaissais absolument personne ici. Peter a toujours été un fervent patriotique bien que pendant les dernières années il se soit montré plutôt hostile aux lois anglaises… Je ne l’imagine pas quitter son pays… S’il l’a fait alors on peut s’attendre au pire…

  Gregory prenait en note tous les éléments susceptibles de l’aider, il parvenait ainsi à dresser le portrait de Peter et ce qui s’en dégageait ne l’inspirait absolument pas. Des junkies, il en avait connu un bon nombre durant sa carrière, le qualificatif de « critique » était souvent associé à des affaires concernant ces personnages en mal-être profond, en total désaccord avec la société dans laquelle ils évoluaient. Quelques mois après la mort de Margaret, il avait lui-même était tenté par la poudre blanche. Il croisait presque tous les jours ce revendeur en bas de chez lui. S’en procurer se serait avéré d’une simplicité extrême. Mais il y avait Nora et il n’avait pas le droit de la faire souffrir encore davantage.
  Gregory arracha la page du bloc note sur laquelle il écrivait et la plaça sur une étagère à sa portée.

  -Clarence, êtes-vous sûre que c’est bien l’homme que vous avez rencontré le 16 mai ? questionna Gregory.
  -Certaine. J’avais oublié son visage mais le voir en photo… C’est comme si je l’avais en face de moi, je revis la scène.
  -Bien. Je vais donc vous demander de ne rien faire. Quand je dis « rien » je le pense vraiment ok ? Vous n’essayez pas de chercher des infos sur lui, vous n’appelez pas ses anciens amis, vous ne contactez pas la prison, vous ne tapez même pas son nom dans la barre de recherche Google ! J’ai vu trop souvent des clients essayer de résoudre eux-mêmes leur affaire dès que je leur apportais une piste convaincante, et croyez-moi, dans quatre-vingt dix pourcent des cas, l’échec s’avérait cuisant et extrêmement difficile à rattraper. Si vous avez fait appel à moi, c’est pour que je vous aide, alors laissez-moi faire. Dès que j’aurai appris quelque chose, vous en serez informés mais je ne veux pas, pardonnez-moi l’expression « vous avoir sur le dos ». Si jamais j’ai besoin de vous, je vous le ferai savoir.
  -Parfait. Répondit Mattew qui semblait avoir retrouvé toute son assurance. En ce qui concerne votre salaire, je vous propose mille deux cent euros par semaine, et je veux que vous me listiez l’intégralité de vos frais, que ce soit pour vos déplacements, pour une chambre d’hôtel, même pour vous payer une arme si ça vous chante… Tout vous sera payé.
  -Entendu, la liste vous sera envoyée par mail tous les jours. Vous connaissez le chemin, je ne vous raccompagne pas. Dit Gregory en serrant la main que lui tendait Mattew.
  -Non ça ira, merci. Répondit à son tour Clarence en posant sur lui des yeux remplis d’espoir et en plaçant près de ses notes la photo de Molly. J’y tiens, ne la perdez pas.
  -J’essaierai.

  Sur la photo, elle avait à peine deux mois mais déjà de sublimes yeux bleus, et une fine épaisseur de mèches blondes. Il ne put s’empêcher, lui aussi, de l’imaginer en Emilie Jolie.

Mercredi 11 août 2010 à 15:41


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  Alors que Gregory tentait une énième fois de mettre de l’ordre dans ses dossiers, Nora rentra dans le sanctuaire de son père. Elle savait parfaitement qu’elle n’avait pas le droit d’être là mais malgré ses différences, elle restait une enfant, attirée comme un aimant vers les interdits. Elle marcha sur la pointe des pieds et se plaça devant le bureau. Lorsque son père qui ne l’avait pas entendue arriver se retourna, il sursauta et fit tomber un ensemble de documents par terre. Nora, de crainte de représailles, vint aussitôt l’aider à ramasser les feuilles, éparpillées sur le sol. Sous l’une d’entre elles, la petite fille découvrit une photo de sa mère, le jour de sa mort. Cette même photo qui figurait dans le rapport de police.
  -Nora bon sang !! Je t’ai déjà dit cent fois de ne pas toucher à mes affaires ! Ce sont des choses de grandes personnes tu entends ?! cria-t-il.
 
  Contre toute attente, Nora, qui avait l’habitude de courir se réfugier dans sa chambre quand son père osait élever la voix, fit preuve d’une impassibilité totale.
  -Elle était belle maman. dit-elle simplement en admirant la photo.
  Gregory regarda à son tour la photo par-dessus son épaule et fut pris de nausées. Margaret gisait sur le sol dans son propre sang, les yeux noisette dont avait hérité Nora grands ouverts, la tempe gauche déformée par l’impact de la balle, le teint cadavérique. Sa robe beige avait absorbé une bonne partie de l’hémoglobine et ses cheveux, châtains clairs d’ordinaire, avaient pris une carnation nettement plus foncée. Sur cette image, sa femme était tout sauf belle. Il posa des yeux horrifiés sur sa fille.
  -Nora chérie, ta maman sur cette photo elle est…
  -Morte. Je sais. Le coupa-t-elle. Je peux la garder ?
  -Je t’en donnerai une autre d’accord ? demanda-t-il au dépourvu.
 La fillette acquiesça.
  -Tu sais Nora, je vais devoir te confier à Tatie Alice pour quelques temps. Elle t’as vue quand tu étais tout bébé, je suis sûre que tu l’aimeras beaucoup. Elle a deux grands enfants, tu pourras jouer avec eux.
  -Tu vas aller chercher le monsieur qui a tué maman ? questionna-t-elle en rendant la photo à son père.
  -Je…Non mon cœur, dit-il en s’accroupissant pour se mettre à son niveau, je pars pour une autre affaire.
  -Et le monsieur qui a tué maman, tu le chercheras quand ?
  -Nora, personne n’a tué ta mère !
  -Siiiii !!!!!!!!! LE MONSIEUR !! hurla-t-elle comme jamais elle ne l’avait fait.
  -Quel Monsieur Nora ?!!! Dis-moi !!!
Mais la petite fille, d’un calme stupéfiant alla s’installer devant la télé du salon.
  -Chérie, il faut que tu me dises qui est le monsieur. C’est extrêmement important. Si tu sais quoi que soit sur ce qui est arrivé à ta maman, il faut que tu m’en parles.
Malgré son insistance, la fillette s’était replongée dans son mutisme et ne daignait même pas adresser  un regard à son père.

Jeudi 12 août 2010 à 0:08

  

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<3

  Le lendemain, Gregory prépara la valise de Nora en prenant soin de ne rien oublier d’important : sa peluche Winnie l’ourson, son livre de contes, son tee-shirt préféré et bien évidemment la photo de Margaret que la petite fille posait désormais sous son oreiller avant de s’endormir. Se séparer de Nora allait s’avérer être une épreuve pour lui, jamais il n’avait passé plus d’une journée sans elle. L’année qui avait suivi le suicide de sa femme, ils n’étaient presque pas sortis, Gregory puisait dans ses économies, vivait avec l’argent qu’elle lui avait laissé avant de mourir, il avait même vendu sa  voiture, une authentique Austin que lui avait offert ses riches parents alors qu’elle habitait encore en Angleterre. Avec ça, ils avaient pu tenir jusqu’à aujourd’hui. Mais son compte à présent dans le rouge, Gregory savait qu’il devait à tout prix abandonner cette vie recluse. C’est pourquoi il avait décidé de placer Nora chez sa meilleure amie. Ou plutôt celle qui était sa meilleure amie, à l’époque où il allait bien. Alice Metayer était une jeune femme absolument charmante. De plus de deux ans son aînée, elle lui avait apporté de précieux conseils, l’avait même aidé à créer sa petite entreprise d’investigation. Gregory admirait beaucoup son mari Maxime, un homme digne, solide comme un roc mais qui savait laisser transparaître ses émotions quand la situation l’exigeait. Lorsqu’ils s’étaient rencontrés, Maxime avait déjà un fils d’une précédente union qu’Alice avait adopté sans la moindre difficulté. Et puis la famille s’était agrandie avec l’arrivée de Zoé qui avait maintenant plus de sept ans.
  Gregory était persuadé que Nora serait accueillie à bras ouverts et de toute façon, il ne connaissait aucun autre foyer aussi équilibré, et l’équilibre, c’était bien de qui faisait défaut au sien. Alice travaillait à domicile en temps qu’écrivain jeunesse, raconter des histoires aux enfants, les voir écarquiller les yeux devant ses dessins colorés l’avait toujours fasciné et Gregory avait le secret espoir qu’elle parviendrait à faire parler Nora.

  La dernière fois qu’il l’avait vue, il y a près de trois ans, elle venait lui faire à manger et s’occuper de Nora alors qu’il se laissait dépérir, mais quand elle leur ouvrit la porte, c’était comme s’ils ne s’étaient jamais quittés. Alice était toujours aussi rayonnante, sa silhouette était toujours aussi svelte, ses yeux toujours aussi foncés, presque noirs, seule sa couleur de cheveux semblait différente, tirant légèrement sur le Auburn.
  -Greg !
Elle le prit dans ses bras.
  -Tu m’as tellement manqué ! Et toi tu as tellement grandi ! Continua-t-elle en déposa un baiser sur le front de Nora. Tu es une très grande fille maintenant, presqu’aussi grande que Zoé ! Enfin il faut dire que Zoé c’est une toute petite puce…
  -Elle a de qui tenir ! commenta Gregory.
Elle lui donna un léger coup de coude et ils éclatèrent de rire.
 
  Ils se connaissaient depuis toujours, étaient incapables de se remémorer la première fois où ils s’étaient vus. Ils avaient fait leur scolarité sur Paris, dans le même collège, puis dans le même lycée, avaient le même cercle d’amis, mais ils n’avaient jamais réellement fait attention l’un à l’autre, n’avaient jamais eu de grandes conversations. A l’obtention du bac, ils étaient partis dans des voies différentes et ne s’étaient jamais revus. Jusqu’au jour où, hasard du destin, ils s’étaient croisés au rayon Dvd d’un grand supermarché, le même film à la main. Gregory venait tout juste d’arriver sur Bordeaux et à part les quelques amis de Margaret, il ne voyait personne, alors ils avaient passés quelques soirées ensemble. Une jalousie malsaine aurait pu naître dans les yeux de Margaret mais elle adorait Alice, lui confiait ses problèmes, lui présentait des amis à elle qui auraient potentiellement pu lui plaire… Ils formaient un trio inébranlable. Jusqu’à ce qu’un pion s’écroule entrainant avec lui un second pion. Bien qu’anéantie par le chagrin, Alice avait su trouver la force, notamment auprès de Maxime, de ne pas sombrer comme son ami.

  Alice conduisit Nora dans la chambre de Zoé, où elle dormirait durant son séjour. Puis elle laissa la fillette s’amuser avec les multiples baigneurs et autres poupées articulées, blondes à forte poitrine, dont toutes les petites filles raffolent.
  Elle retrouva Gregory dans la cuisine, lui servit une tasse de thé et lui fit passer un véritable interrogatoire avec pour principales questions : « comment as-tu fait pour vivre sans travail pendant trois ans ? », « que comptes-tu faire pour sortir Nora de son mutisme ? », « combien de temps tu t’absentes ? », « Où vas-tu ? », « pour quoi faire ? » et enfin « tu tiens le coup ? ». Gregory n’avait eu aucun mal à répondre à ses questions, lui-même s’était déjà demandé ce qu’il était censé faire avec sa fille, il lui donnait un an pour surmonter toute seule son handicap, si passé ce délai rien ne changeait alors il s’inscrirait dans une école spécialisée. Cependant, il n’avait pas su quoi répondre à la dernière. Il avait était si près du précipice qu’il ne pouvait qu’affirmer qu’il allait mieux. Pas bien. Mieux.

  Ils restèrent plusieurs heures à discuter, notamment avec Maxime qui avait achevé sa garde à l’hôpital. Puis vint le moment pour Gregory de s’en aller. Il ne savait pas s’il allait devoir quitter la ville pour partir en Angleterre ou bien rester sur place mais il ne voulait pas avoir sa fille à charge pendant la période de l’enquête. Il aurait fait un mauvais détective et un mauvais père.
  Sur le pas de la porte, Gregory exposa une énième demande à Alice.
  -Si jamais elle vient à parler devant toi d’un « monsieur » qui aurait tué sa mère, essaie d’en savoir plus. Et surtout appelle-moi.
  -Attends ! C’est quoi cette histoire ?!
  -J’en sais strictement rien ! C’est bien là qu’est le problème. Cria-t-il en montant dans sa voiture.

Lundi 16 août 2010 à 15:05


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  Gregory n’avait pas perdu de temps, tout juste rentré chez lui, il avait essayé de trouver des informations sur Peter Smith. Il avait cherché dans des bases de données confidentielles, notamment celles de la prison où le jeune homme avait séjourné, mais également dans celles de la police nationale française et britannique. En recoupant toutes ses découvertes, Gregory avait pu déterminer que Peter se trouvait sur le territoire anglais. Il devait se rendre une fois par mois dans une « Police Station » près de « Charing Cross » non loin des rives de la Tamise. D’après ce qu’il avait compris, Peter avait recommencé à vendre de la drogue dans les quartiers malfamés de Londres et avait écopé d’une autre année de prison en 2009. Il n’avait purgé que six mois mais était désormais soumis à un contrôle mensuel. Les « bobbies » de Londres pouvaient ainsi s’assurer par diverses analyses que le jeune homme ne consommait aucune substance illicite et donc qu’il était hors de tout trafic. Sa dernière présentation au commissariat remontait au 20 mai. Gregory qui avait perdu toute notion du temps, jeta un œil sur le calendrier accroché derrière la porte de son bureau. On était le 18 juin. Il avait donc deux jours pour se rendre à Londres et espérer ne pas le manquer.
  Il s’empressa d’aller sur le site de la SNCF pour acheter un billet pour Lilles puis un second pour prendre l’Eurostar jusqu’à la gare de St Pancras. Son TGV partait le lendemain matin à 5h00 de la gare St Jean. Gregory avait déjà visité Londres à plusieurs reprises avec Margaret. Il aimait le charme de la ville, ses maisons en briques, ses taxis, ses bus rouges. Mais il craignait d’être confronté au souvenir de sa femme, d’entendre un londonien lui parler français avec le même accent qu’elle, de passer devant Covent Garden où ils avaient pris de multiples photos, de sentir l’odeur des Fish and chips où ils avaient l’habitude de déjeuner lorsqu’ils jouaient aux touristes.

  De plus, rien n’était vraiment clair dans son esprit. Il allait sûrement rencontrer ce fameux Peter mais ne savait pas comment l’aborder, quoi lui dire pour le mettre en confiance. Les affaires similaires qu’il avait menées dans le passé avaient toutes été pensées, réfléchies dans les moindres détails, il n’avait jamais rien laissé au hasard. Pourtant cette fois-ci c’est ce qu’il s’apprêtait à faire.


  4h45 le lendemain, des cernes sous les yeux et un sac à dos sur le dos, Gregory montait dans le TGV. Il s’installa à la place qui lui avait été attribuée et alluma son ordinateur portable afin d’envoyer à Mattew le prix des billets. Son wagon était vide jusqu’à l’arrivée d’un jeune homme. Celui-ci salua Gregory, pris le siège 54 et rangea dans les compartiments prévus à cet effet son énorme valise Lancel et ses multiples poches de grandes marques : Burberry, Louis Vuitton… ainsi qu’une plus modeste provenant de Sandro. Sa tenue était en total contraste avec celle de Gregory : chemise rayée bleue parfaitement cintrée, pantalon noir et chaussures pointues contre tee-shirt, veste en cuir et jean troué porté avec des baskets.
  Les vacances scolaires n’ayant pas encore débutées, le train avait principalement pour voyageurs des hommes et des femmes d’affaires du genre de ceux qu’on peut croiser, sandwich à la main dans les parcs chics de la capitale anglaise lors du « lunch time ».
  Les premières heures de son voyage, Gregory les passa à essayer de se reposer, il n’avait pas dormi depuis plusieurs jours ou alors à peine quelques heures et ne voulait pas que ça ait une influence sur son travail. Mais il ne parvint pas à faire le vide dans son esprit, la présence de Margaret était trop forte. Il avait choisi avec soin son wagon, espérant éviter à tout prix de devoir voyager dans un de ceux qu’il avait partagé avec elle lors de leur nombreux aller-retour entre Londres et Bordeaux. C’était futile, tous les wagons se ressemblaient.
  Alors qu’il fixait le paysage qui défilait devant lui, Gregory fut tiré de ses pensées.
  -Français ? English ? demanda une voix.
Gregory se retourna pour apercevoir le jeune homme qui l’avait salué plus tôt.
  -Je suis français. Répondit Gregory en se forçant à sourire.
  -Ca vous dérange si je m’assois en face de vous ? Je voyage tout seul et c’est d’un ennui mortel ! demanda-t-il en s’asseyant sans même attendre la réponse de Gregory.
  -Oui bien sûr, aucun problème.
  -Où est-ce que vous allez si ce n’est pas trop indiscret ?
  -A Londres pour affaires.
  -C’est là que je vais aussi ! Vous dites pour affaires, vous ne ressemblez pas tellement au businessman standard…
  -Un genre d’affaire particulier.
  -Quel genre ?
Gregory esquissa un sourire. Ce jeune homme avait peut-être dix ans de moins que lui et pourtant il était doté d’une assurance incroyable. Il détestait discuter avec des inconnus néanmoins, cette fois, il fit une exception.
  -Je suis détective.
  -Sérieux ? Détective ? Comme dans les séries américaines ?
  -Plus ou moins…
  -Classe ! Et vous enquêtez sur quoi en ce moment ?
Gregory hésita avant de répondre mais devant le regard admiratif de son interlocuteur, il ne put s’empêcher de lui expliquer en détails la situation. Après quelques minutes, il connaissait toutes les informations dont disposait Gregory et semblait pensif.
  -Ca craint. Finit-il par dire. Et qu’est-ce que vous allez faire quand vous allez vous retrouver face à ce Peter ?
  -Je n’en ai pas la moindre idée…
  -Vous parlez anglais ?
  -J’ai de vieux restes du lycée.
  -Et vous comptez faire comment pour lui parler ? Utiliser le langage des signes ?
  Il avait mis le doigt sur un détail auquel Gregory n’avait jamais réfléchi. Son anglais était plus que limité, Margaret étant bilingue, elle lui avait toujours parlé en français, jamais il ne pourrait suivre une conversation si elle n’était pas dans sa langue maternelle.
  Voyant le désarroi dans lequel était soudain plongé Gregory, le jeune homme lui fit une proposition.

  -J’ai une licence en langues, commença-t-il, je parle l’anglais presqu’aussi bien que le français. Si vous acceptez que je vous accompagne, je peux vous servir d’interprète.
  -Une licence ? Mais tu as quel âge ?!
  -23. Et oui je sais que j’ai un air très juvénile…dit-il en voyant Gregory surpris. Certaines personnes ont même du mal à m’imaginer majeur... J’ai fait mes études à Paris mais le système de la fac ne me plaisait pas alors j’ai tout plaqué. Depuis, je voyage, je prends le temps de vivre.
  -Ton offre est intéressante… Mais tu sais que ce que je fais n’est pas vraiment légal ? Je n’ai pas envie de t’embarquer dans mes emmerdes si quelque chose venait à mal tourner…
  -Oh vous savez, les emmerdes et moi, on se connait depuis longtemps ! Alors, marché conclu ?
  -Marché conclu. Répondit Gregory en lui serrant la main.
  -Au fait, moi c’est Florian et vous ?
  -Gregory.

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