Molly

Molly

Lundi 16 août 2010 à 15:05


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  Gregory n’avait pas perdu de temps, tout juste rentré chez lui, il avait essayé de trouver des informations sur Peter Smith. Il avait cherché dans des bases de données confidentielles, notamment celles de la prison où le jeune homme avait séjourné, mais également dans celles de la police nationale française et britannique. En recoupant toutes ses découvertes, Gregory avait pu déterminer que Peter se trouvait sur le territoire anglais. Il devait se rendre une fois par mois dans une « Police Station » près de « Charing Cross » non loin des rives de la Tamise. D’après ce qu’il avait compris, Peter avait recommencé à vendre de la drogue dans les quartiers malfamés de Londres et avait écopé d’une autre année de prison en 2009. Il n’avait purgé que six mois mais était désormais soumis à un contrôle mensuel. Les « bobbies » de Londres pouvaient ainsi s’assurer par diverses analyses que le jeune homme ne consommait aucune substance illicite et donc qu’il était hors de tout trafic. Sa dernière présentation au commissariat remontait au 20 mai. Gregory qui avait perdu toute notion du temps, jeta un œil sur le calendrier accroché derrière la porte de son bureau. On était le 18 juin. Il avait donc deux jours pour se rendre à Londres et espérer ne pas le manquer.
  Il s’empressa d’aller sur le site de la SNCF pour acheter un billet pour Lilles puis un second pour prendre l’Eurostar jusqu’à la gare de St Pancras. Son TGV partait le lendemain matin à 5h00 de la gare St Jean. Gregory avait déjà visité Londres à plusieurs reprises avec Margaret. Il aimait le charme de la ville, ses maisons en briques, ses taxis, ses bus rouges. Mais il craignait d’être confronté au souvenir de sa femme, d’entendre un londonien lui parler français avec le même accent qu’elle, de passer devant Covent Garden où ils avaient pris de multiples photos, de sentir l’odeur des Fish and chips où ils avaient l’habitude de déjeuner lorsqu’ils jouaient aux touristes.

  De plus, rien n’était vraiment clair dans son esprit. Il allait sûrement rencontrer ce fameux Peter mais ne savait pas comment l’aborder, quoi lui dire pour le mettre en confiance. Les affaires similaires qu’il avait menées dans le passé avaient toutes été pensées, réfléchies dans les moindres détails, il n’avait jamais rien laissé au hasard. Pourtant cette fois-ci c’est ce qu’il s’apprêtait à faire.


  4h45 le lendemain, des cernes sous les yeux et un sac à dos sur le dos, Gregory montait dans le TGV. Il s’installa à la place qui lui avait été attribuée et alluma son ordinateur portable afin d’envoyer à Mattew le prix des billets. Son wagon était vide jusqu’à l’arrivée d’un jeune homme. Celui-ci salua Gregory, pris le siège 54 et rangea dans les compartiments prévus à cet effet son énorme valise Lancel et ses multiples poches de grandes marques : Burberry, Louis Vuitton… ainsi qu’une plus modeste provenant de Sandro. Sa tenue était en total contraste avec celle de Gregory : chemise rayée bleue parfaitement cintrée, pantalon noir et chaussures pointues contre tee-shirt, veste en cuir et jean troué porté avec des baskets.
  Les vacances scolaires n’ayant pas encore débutées, le train avait principalement pour voyageurs des hommes et des femmes d’affaires du genre de ceux qu’on peut croiser, sandwich à la main dans les parcs chics de la capitale anglaise lors du « lunch time ».
  Les premières heures de son voyage, Gregory les passa à essayer de se reposer, il n’avait pas dormi depuis plusieurs jours ou alors à peine quelques heures et ne voulait pas que ça ait une influence sur son travail. Mais il ne parvint pas à faire le vide dans son esprit, la présence de Margaret était trop forte. Il avait choisi avec soin son wagon, espérant éviter à tout prix de devoir voyager dans un de ceux qu’il avait partagé avec elle lors de leur nombreux aller-retour entre Londres et Bordeaux. C’était futile, tous les wagons se ressemblaient.
  Alors qu’il fixait le paysage qui défilait devant lui, Gregory fut tiré de ses pensées.
  -Français ? English ? demanda une voix.
Gregory se retourna pour apercevoir le jeune homme qui l’avait salué plus tôt.
  -Je suis français. Répondit Gregory en se forçant à sourire.
  -Ca vous dérange si je m’assois en face de vous ? Je voyage tout seul et c’est d’un ennui mortel ! demanda-t-il en s’asseyant sans même attendre la réponse de Gregory.
  -Oui bien sûr, aucun problème.
  -Où est-ce que vous allez si ce n’est pas trop indiscret ?
  -A Londres pour affaires.
  -C’est là que je vais aussi ! Vous dites pour affaires, vous ne ressemblez pas tellement au businessman standard…
  -Un genre d’affaire particulier.
  -Quel genre ?
Gregory esquissa un sourire. Ce jeune homme avait peut-être dix ans de moins que lui et pourtant il était doté d’une assurance incroyable. Il détestait discuter avec des inconnus néanmoins, cette fois, il fit une exception.
  -Je suis détective.
  -Sérieux ? Détective ? Comme dans les séries américaines ?
  -Plus ou moins…
  -Classe ! Et vous enquêtez sur quoi en ce moment ?
Gregory hésita avant de répondre mais devant le regard admiratif de son interlocuteur, il ne put s’empêcher de lui expliquer en détails la situation. Après quelques minutes, il connaissait toutes les informations dont disposait Gregory et semblait pensif.
  -Ca craint. Finit-il par dire. Et qu’est-ce que vous allez faire quand vous allez vous retrouver face à ce Peter ?
  -Je n’en ai pas la moindre idée…
  -Vous parlez anglais ?
  -J’ai de vieux restes du lycée.
  -Et vous comptez faire comment pour lui parler ? Utiliser le langage des signes ?
  Il avait mis le doigt sur un détail auquel Gregory n’avait jamais réfléchi. Son anglais était plus que limité, Margaret étant bilingue, elle lui avait toujours parlé en français, jamais il ne pourrait suivre une conversation si elle n’était pas dans sa langue maternelle.
  Voyant le désarroi dans lequel était soudain plongé Gregory, le jeune homme lui fit une proposition.

  -J’ai une licence en langues, commença-t-il, je parle l’anglais presqu’aussi bien que le français. Si vous acceptez que je vous accompagne, je peux vous servir d’interprète.
  -Une licence ? Mais tu as quel âge ?!
  -23. Et oui je sais que j’ai un air très juvénile…dit-il en voyant Gregory surpris. Certaines personnes ont même du mal à m’imaginer majeur... J’ai fait mes études à Paris mais le système de la fac ne me plaisait pas alors j’ai tout plaqué. Depuis, je voyage, je prends le temps de vivre.
  -Ton offre est intéressante… Mais tu sais que ce que je fais n’est pas vraiment légal ? Je n’ai pas envie de t’embarquer dans mes emmerdes si quelque chose venait à mal tourner…
  -Oh vous savez, les emmerdes et moi, on se connait depuis longtemps ! Alors, marché conclu ?
  -Marché conclu. Répondit Gregory en lui serrant la main.
  -Au fait, moi c’est Florian et vous ?
  -Gregory.

Samedi 21 août 2010 à 15:36

  
 

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  Quelques heures plus tard, Gregory et Florian avaient embarqué dans l’Eurostar, qui contrairement au TGV accueillait des passagers sur la quasi-totalité de ses sièges. C’était un vrai carrefour entre les civilisations, l’oreille de Florian avait pu discerner des conversations en français et en anglais mais également en allemand, espagnol, italien, peut-être même en japonais, mais il n’en était pas sûr.
  Alors que le train sortait du tunnel, amenant avec lui un halot de lumière, une sonnerie discrète retentit, tirant Gregory de sa somnolence. Florian tenait son portable près de son oreille et essayait de parler le plus doucement possible pour ne pas déranger encore plus les voyageurs qui lui jetaient des regards méprisants.

  -Oui, écoute je suis dans l’Eurostar là je ne peux pas trop te… Oui pour l’Angleterre où tu veux que j’aille avec l’Eurostar ?! Oui je vais bien t’en fais pas… Non je ne suis pas tout seul, j’ai rencontré un mec sympa, un détective qui m’offre du boulot… Non je ne deviens pas détective ! Juste interprète… ouais… ok, je te tiens au courant quand je rentre en France. Embrasse maman pour moi.

  Sur ces derniers mots, Florian posa son iphone sur la tablette devant lui puis il adressa un sourire à Gregory.
  -Ah les parents… Toujours inquiets ! Mon père ne me lâche pas depuis que j’ai quitté le domicile familial !
  -C’est leur boulot. Répondit Gregory.
  -Oui je sais bien. Mais mon père ne s’est jamais vraiment occupé de moi durant mon enfance. Il avait son entreprise à faire tourner, ne s’intéressait qu’aux bénéfices qu’elle pourrait lui rapporter. Ma mère et moi, on passait au second plan. Il avait déjà tracé mon avenir, j’étudierai les langues pour partir ouvrir une autre entreprise à l’étranger. Ce que je voulais lui importait peu et puis à cet âge je n’avais pas la force de m’opposer à lui. Il y a un peu plus d’un an, j’ai arrêté d’aller en cours, et ça l’a rendu dingue. Mais il a vite compris qu’il n’avait plus d’influence sur moi, peut-être même a-t-il pris conscience qu’il avait gâché toute ma jeunesse en voulant faire de moi le meilleur… Toujours est-il que depuis, il joue au papa poule…
  Gregory ne répondit rien. Lui n’avait jamais connu son père et il ne le connaîtrait jamais. Il aurait pu faire des recherches sur lui, en quelques heures il aurait trouvé son identité, son adresse, son numéro de sécu… Mais au fond il préférait rester dans l’ignorance.


  A plus de mille kilomètres, Nora jouait tranquillement dans le salon avec les peluches de Zoé, sous la surveillance de Maxime qui venait de raccrocher son téléphone. Alice accourut alors dans la pièce.
  -C’était lui ?! demanda-t-elle.
  -Oui. Il est bien avec Gregory.
  -J’ai peur Maxime…
  -J’ai peur aussi…dit-il en la serrant dans ses bras.


 

Samedi 21 août 2010 à 18:38


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  Dans la gare de St Pancras à Londres, c’était l’effervescence. Entre les chariots à valises, les groupes de jeunes assis en rond en attendant leurs accompagnateurs, les files de touristes qui se pressaient vers bornes de contrôle et les multiples magasins d’échange de monnaie, de vêtements, de produits « made in France » ou « England », de restaurants et autres, Gregory se sentait étrangement dans son élément. Lui qui avait pourtant évité la foule ces dernières années se sentait comme rajeuni, retrouvant les effets plus ou moins semblables du métro parisien aux heures de pointes. Gregory, les yeux posés sur la grande horloge en fer qui surplombait toute la gare paraissait comme figé tandis que Florian se débattait pour porter tous ses sacs sans les faire tomber.
  -On va prendre un taxi. Dit ce dernier. On est…JE suis trop chargé pour prendre le métro.
  -D’accord, mais pour aller où ? Parce que je connais un petit hôtel sympa où j’allais avec ma femme.
  -Et vous n’avez pas peur que ça vous rappelle de vieux souvenirs ? Je veux dire avec ce qui est arrivé…
  -Pardon ?! s’exclama Gregory.
  -Ouais, votre femme…
  -Je ne vous ai jamais parlé de ma femme !!
  -Je… Si ! Vous m’avez dit que vous compreniez la douleur des parents de Molly car vous avez vous-même perdu votre femme. S’empressa-t-il d’affirmer.
  Gregory semblait perplexe, raconter la vie des autres ne lui posait aucun problème, en revanche exposer la sienne n’était pas dans ses habitudes.
  -Désolé… Je n’aime pas parler de Margaret, j’ai du vous dire ça sans vraiment réfléchir… s’excusa Gregory.
  -Pas de problème ! Et pour ce qui est du logement, mon père possède un appartement à Kensington, près de Hyde Park. On sera plus libres là-bas qu’en prenant une chambre dans un hôtel, surtout si on retrouve votre fameux Peter…
  -Parfait.

  Ils trouvèrent rapidement un taxi grâce à Florian qui marchanda avec un conducteur pour qu’il accepte de les prendre à la place d’un couple d’anglais arrivés avant eux, moyennant une somme non négligeable d’argent. Gregory avait toujours apprécié la fluidité du trafic londonien comparé à celui de Paris. L’entrée dans la capitale étant payante pour les véhicules, la circulation y était bien moins importante.
  -Arrêtez-vous au numéro 38. Demanda Florian au chauffeur.

  L’appartement était immense, disposait de deux étages et d’une terrasse sur le toit avec une vue splendide sur Hyde Park où se croisaient cyclistes et joggeurs. Les meubles, blancs pour la plupart donnaient un style épuré au salon qui comportait de sa propre cheminée et une baie vitrée sur toute sa face Nord. La cuisine à l’américaine semblait sortir d’un magazine de décoration tout comme la salle à manger qui accueillait une grande table en verre.
  -L’appartement est vide la plupart du temps, expliqua Florian en voyant Gregory admirer les lieux, mon père le prête à ses amis de passage quand il le peut mais il a toujours refusé de le louer.  Il aime avoir un chez lui quand il voyage. Des biens immobiliers comme celui-là, il en possède une dizaine environ, à Madrid, Rome, Moscou, New York…
  -Hmmm Hmmm. Fit Gregory pour prétendre s’intéresser à la fortune de son nouveau collaborateur.
  -Je vous montre votre chambre ! Suivez-moi.

  Ils traversèrent un large couloir, où s’affichaient de remarquables tableaux de peintres sûrement très en vogues et dont Gregory n’avait aucune connaissance.
  -C’est là, dit Florian en entrant dans une pièce sur la droite. Je pense que vous serez bien. Je vous laisse ranger vos affaires dans le dressing. Vous avez une salle de bain ici, continua-t-il en désignant un enfoncement dans le mur, vous pouvez vous doucher si vous voulez. Enfin faites comme chez vous quoi, je vous laisse, je vais faire quelques courses !

  Gregory s’installa dans un fauteuil et appela Mattew pour le tenir informé du fait qu’il était sur la piste de son frère.
Il en profita pour lui donner le montant de ses dépenses et lui parler de Florian qu’il faudrait payer de retour à Bordeaux. Mattew semblait contrarié d’apprendre que Peter était retourné en prison pour les mêmes raisons qui l’y avaient conduit la première fois. L’incarcération n’avait donc rien changé à son comportement, il agissait toujours de la même façon. Mattew avait pensé que  les quelques mois qu’il avait passés enfermé lui auraient fait l’effet d’un électrochoc mais il n’en était apparemment rien.
  Comme le lui avait proposé Florian, Gregory plaça ses vêtements dans le dressing. Ses trois polos et deux jeans lui semblaient ridicules face aux six mètres carrés d’étagères et de penderie de la chambre. Epuisé, il ne pris même pas la peine de se changer et s’affala sur le lit où les bras de Morphée l’enlacèrent presqu’instantanément.
  Lorsqu’il se réveilla, une délicieuse odeur provenant de la cuisine lui ouvrit l’appétit. Depuis son départ, il n’avait absorbé qu’un minuscule sandwich vendu dans le TGV et les forces commençaient à cruellement lui manquer. Il regarda sa montre et fut surpris de voir les deux aiguilles pointer vers le douze. Cela faisait des semaines qu’il n’avait pas enchaîné sept heures de sommeil.
  Il se dirigea donc dans la cuisine, l’esprit encore à moitié éteint et y trouva les restes d’une pizza avec un petit mot de Florian : « Vous dormiez, je ne voulais pas vous réveiller, si la pizza est froide, faites-la chauffer au micro-ondes. A demain. ». Gregory ne se pria pas pour le faire et dégusta sa part de pizza. Après s’être douché le plus discrètement possible, il décida d’aller prendre l’air dans le parc. Quelques jeunes s’étaient regroupés pour jouer de la guitare, des couples profitaient de la fraicheur pour s’offrir une petite promenade paisible, certains faisaient même du pédalo sur le lac. Lui s’assit sur un banc et alluma une cigarette. D’ordinaire, il ne fumait pas, pour la santé de Nora et pour sa propre santé, mais il avait toujours un paquet avec lui, ça le détendait quand il n’avait rien à faire. Ce qui était le cas. Il ne pouvait rien faire de plus. On était le 20. Aujourd’hui il allait tout tenter pour rencontrer Peter. Et après ?

Dimanche 22 août 2010 à 16:26


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  Ce matin-là, Peter s’était levé tôt. Il avait pris un rapide petit déjeuner, avait enfilé un bas de jogging et un tee-shirt à manches courtes et était sorti de son petit studio pour se retrouver dans le quartier de Charing Cross, en pleine ébullition avant le week-end. Se rendre au commissariat le répugnait chaque mois d’avantage, il se considérait comme le petit chaperon rouge qui allait rendre visite à mère-grand, « je finirai par me faire bouffer par ces sales loups », voilà ce qu’il répétait à ses quelques amis, tous d’anciens drogués comme lui.
  A la mort de ses parents lors d’un accident de voiture, il avait perdu tous ses repères et son frère Mattew, à force de vouloir trop le couver, avait fini par l’étouffer. Il avait trouvé sa propre source de réconfort, se procurait de l’héroïne, parfois même s’injectait de la morphine dans les veines « histoire d’atténuer cette putain de douleur, la morphine c’est pour la douleur hein Mattew ? Alors pourquoi je pourrai pas l’utiliser ? ». Peter était devenu incontrôlable, trouvait des justifications à chacun de ses actes, rejetant la faute sur son frère, sur ses parents décédés, sur la société et vivait selon la philosophie du Carpe Diem d’Horace. Jusqu’au jour où il avait été écroué à Shrewsbury. Son mal-être avait alors subi une métamorphose et il était passé de la douleur à la révolte.

  A huit heures, il franchissait la porte de la « Police Station » sans voir les deux hommes qui l’observaient de l’autre côté de la rue.

  Le cœur de Gregory s’était mis à battre plus fort, il pouvait même sentir la pression de ses contractions se propager dans ses artères, résultat de la décharge d’adrénaline provoquée par la reconnaissance de Peter. Cette sensation, il l’avait expérimentée à de multiples reprises, à chaque fois c’était la même chose, c’était comme si ses enquêtes prenaient une tout autre dimension, jusqu’à présent il avait été spectateur, maintenant il entrait en scène.
  -C’est lui. Dit Gregory à Florian en lui faisant un signe de tête dans la direction de Peter.
  -Il a l’air complètement paumé votre mec !
  Il n’avait pas tord, Peter ressemblait à tous les SDF qu’ils avaient croisés pour venir jusqu’ici. Une démarche lourde, une barbe d’au moins deux semaines, des cheveux en bataille et des vêtements extrêmement simplistes.
  -On fait quoi maintenant ? demanda Florian.
  -On attend qu’il sorte.
  -Et ensuite ?
  -Ensuite on improvise.
  -Super…répondit l’interprète en s’étirant. Je pourrai même pas avoir une petit idée de comment on va procéder ? Est-ce qu’on lui court après ? Est-ce qu’on l’interpelle ? Est-ce qu’on reste plantés là comme deux crétins ?...
  -Le mieux serait qu’on tente de le suivre jusque chez lui. Je n’ai pas réussi à localiser son domicile, s’il en a un. Autant te dire que s’il nous échappe, on va avoir énormément de mal à le retrouver.
  -La galère…
  -Tu l’as dit.
  Un quart d’heure plus tard, Peter sortait du commissariat, suivi discrètement par Gregory et Florian.
  -Il faut qu’on reste à une distance convenable. Dix mètres ça me paraît correct, expliqua Gregory en chuchotant, je veux que tu sois le plus naturel possible, le but du jeu c’est de ne pas se faire repérer. Si jamais il se retourne, ne le regarde pas ! On doit continuer à marcher. Tu m’as bien saisi ?
  -Pas de problème chef ! dit-il sur un ton ironique.

  La filature se déroulait à merveille, Peter ne suspectait rien, il n’avait pas accéléré le pas, n’avait pas non plus jeté des regards paniqués autour de lui.
  Ils avaient failli perdre Peter, qui était monté dans un métro à la station de Charing Cross et dont les portes s’étaient presque fermées avant que Gregory et Florian ne puissent y entrer, mais tout était désormais sous contrôle, et à chaque station Gregory était sur le qui vive au cas où Peter déciderait de descendre.
  Cela faisait maintenant plus de dix minutes qu’ils voyageaient quand Florian hurla dans tout le métro : « Aaaaaaaaaaaaah !! Putain !! Saleté d’abeille !!!!!! » attirant évidemment tous les regards des passagers dont celui Peter qui croisa également celui de Gregory. Le métro venait de s’arrêter à une station et Peter sauta sur les quais et courut vers la sortie. Gregory se lança à sa poursuite alors que Florian prenait tout son temps pour descendre.
  Peter courait de plus en plus vite pour distancer Gregory mais celui-ci ne le lâchait pas. Il tourna à droite, manqua de se cogner contre le mur et dévala les escalators pour ensuite gagner la sortie. Ils étaient à Paddington. Peter emprunta une ruelle sur la gauche puis tourna à droite et une nouvelle fois à gauche. Gregory avait de plus en plus de mal à le suivre, et à une intersection, alors qu’il pensait l’avoir perdu, il s’arrêta. Mais lorsqu’il tourna sa tête à gauche, il le distingua au loin, continuant sa course folle et se relança à sa poursuite. Pris de panique, Peter qui avait vu que Gregory était toujours derrière lui, traversa l’avenue sans réfléchir. A une cinquantaine de mètres de lui, Gregory le vit se faire renverser par une voiture.

Lundi 23 août 2010 à 21:01


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  Le conducteur de la voiture qui avait percuté Peter avait immédiatement tenté de se porter à son secours, aidé par certains passants qui bloquaient la circulation pour éviter tout nouvel accident. L’ambulance et les urgences n’avaient mis que peu de temps à se rendre sur place, l’hôpital se trouvant seulement à quelques centaines de mètres. Peter était plus ou moins conscient, il crachait du sang, avaient les yeux dans le vague, les médecins lui avait diagnostiqué une hémorragie au niveau de la rate, plusieurs côtes cassées, une fracture ouverte au genou et constatant sa difficulté à respirer, ils soupçonnaient un dommage aux poumons sans pouvoir établir de causes formelles. Gregory était monté avec lui dans l’ambulance prétextant être un ami de la famille et il n’avait d’ailleurs pas tardé à prévenir Mattew.
  De l’autre côté de l’avenue, un sourire, apparu sur le visage de Florian lors de l’épisode du métro s’était élargi à la constatation de l’état de Peter et alors que les sirènes hurlaient dans tout le quartier, une douce mélodie flottait dans son esprit : celle de la victoire. Il sortit son iphone de la poche de son jean et pris une photo de la scène qu’il envoya par mms accompagnée d’un texte qu’il tapa en à peine quelques secondes : « dites, notre accord tient toujours même si ce n’est pas moi qui l’ai tué ? ». Et comme il l’espérait, le destinataire du message l’appela dès sa réception.
  -Putain mais c’est quoi ce bordel ?! demanda Maxime.
  -Bah il se trouve que votre mec vient de se faire renverser par une voiture. Pas la mienne hein ! Ni celle du détective ! Du coup je voulais savoir si j’aurai quand même les trente mille…
  -Il est mort ? le coupa-t-il.
  -Je sais pas trop… Y a des gens qui hurlent, pleins de mecs en blouse blanche qui se pressent autour de lui, une énorme flaque de sang par terre… En tout cas s’il est pas mort, le pauvre est mal en point !
  -Ecoute-moi bien, s’il parle, je suis dans la merde et toi aussi alors t’as intérêt à achever le travail s’il ne casse pas sa pipe maintenant. Dit-il en faisant les cents pas dans son appartement sous le regard inquiet d’Alice.
  -Attendez là ! Tuer un homme dans une petite ruelle c’est pas la même chose que le tuer dans un hosto, ok ? Ca vous coûtera plus cher !
  -Combien ?
  -Je veux cinquante mille et je vous préviens, si je me fais choper, je vous balance.
  -Alors fais tout pour que ça n’arrive pas !

 
  -Mattew qu’est-ce qui se passe ?! demanda Clarence à son mari en le voyant faire précipitamment sa valise.
  -C’est Peter… répondit-il en attrapant au hasard des vêtements dans sa penderie.
  -Quoi Peter ? Il l’a retrouvé ? Il a parlé ?
  -Il vient d’avoir un accident, on ne sait s’il va s’en sortir.
  -Un accident ?! dit-elle en s’asseyant sur le bord du lit. Mais comment s’est arrivé ?
  -Un automobiliste l’a renversé alors qu’il courait pour échapper à Gregory. Il faut que j’aille le voir, je pars en Angleterre, tu comprends, s’il meurt, je m’en voudrais toute ma vie.
  -Tu veux que je vienne avec toi ?
  -Non. Reste ici. Je te donnerai des nouvelles dès que j’en aurai.
  -Je t’aime. Dit-elle alors qu’il s’en allait.
  Il revint sur ses pas, déposa un baiser sur son front et courut pour monter dans le taxi qui l’attendait en bas.

  Dans l’ambulance, la tension était montée d’un cran après que le cœur de Peter se soit emballé, nécessitant l’intervention d’un défibrillateur.
  -Do you know his blood group ? demanda le docteur en anglais à Gregory.
  -Je ne sais pas. Répondit ce dernier paniqué.
  -And his medical history ?
  -I… French. Expliqua Gregory qui ne comprenait pas vraiment les questions.
  -Thomas !! I need you to translate, this guy is French !
  -Il vous a demandé s’il avait des antécédents médicaux. Traduit Thomas.
  -J’en sais rien.
  -Pas de diabète ?  D’insuffisance respiratoire ?
  -J’en sais rien je vous dis.
  Il avait beau réfléchir, il ne connaissait pratiquement rien sur cet homme, tout ce qu’il savait c’était son nom, son prénom, sa date de naissance, qu’il avait été incarcéré à Shrewsbury, et…
  -Attendez ! Il est A négatif et est asthmatique !
  -Et ça vous revient d’un coup ? demanda l’urgentiste.
  -Je viens de me souvenir que j’ai lu son dossier médical !
  -Son dossier médical ?
  -Celui de la prison où il a passé quelques mois.
  -Vous êtes sûr de vous ?
  -Certain.

  L’ambulance venait tout juste d’arriver devant l’hôpital quand Peter fut emmené en salle d’opération.
  -You can’t go with him ! dit un infirmier à Gregory qui essayait de suivre le brancard.
  -But I … I need to talk to him !! Very important !
  -More than your friend’s life ? I don’t think so. So please, just wait here, okay ?!
  -Yes, okay, sorry. Répondit Gregory en allant s’assoir sur un des sièges du couloir.

  L’attente fut pour Gregory interminable et alors qu’il entamait son quatrième café, Mattew le rejoint.
  -J’ai pris le premier vol pour venir, dit-il essoufflé, j’ai fait aussi vite que j’ai pu ! Est-ce que Peter va bien ?!
  -Ca fait presque trois heures qu’il est au bloc. Personne n’est venu me dire comment ça se passait, vous êtes son frère, peut-être que vous aurez plus de chance.
  -Je vais aller voir à l’accueil !
  Il en revint encore plus abattu.
  -Apparemment son état est critique, ses chances de survie sont très faibles… Tout ça c’est ma faute… dit-il en s’effondrant sur le siège voisin de celui du détective.
  -Vous n’êtes en rien responsable… je pourrai très bien me sentir coupable aussi, après tout, si je ne l’avais pas poursuivi comme je l’ai fait, il ne serait pas où il est… le conducteur aussi pourrait se sentir coupable… Mais au fond, ça ne sert à rien de chercher le fautif, ça ne fera pas avancer les choses, ça ne guérira pas Peter. Tout ce qu’on peut faire c’est attendre et espérer.

  Vers midi, les chirurgiens vinrent à la rencontre de Mattew. Le plus âgé d’entre eux détailla les résultats de l’opération.
  -Nous avons pu stopper l’hémorragie de la rate et replacer place son genou. En revanche, les poumons nous ont donné beaucoup de mal, il se trouve que l’une des côtes cassées est venue perforer le poumon gauche. Il devrait s’en remettre mais en attendant que le poumon cicatrise, nous l’avons mis dans le coma. Il est sous assistance respiratoire et je ne peux pas vous dire quand nous le réveillerons, tout dépendra de son état. Pour l’instant le pronostic vital n’est plus mis en jeu, mais je ne garantis pas une éventuelle rechute ou des complications. L’opération qu’il a subit est très lourde.
  -Bien. Je vous remercie Docteur. Merci mille fois. Est-ce que je peux aller le voir ?
  -Vous pouvez, mais pas longtemps. Mary va vous conduire à sa chambre.
 
  Mary était une jeune infirmière, sûrement tout juste diplômée ou alors en stage dans l’hôpital. C’était sa première « grosse » intervention, le chirurgien l’avait choisie pour sa patience et son sang-froid, mais elle semblait plus ou moins traumatisée.
  -Suivez-moi, prononça-t-elle, c’est la chambre 307.
  Ils empruntèrent l’ascenseur de service et montèrent jusqu’au troisième étage. Les murs étaient peints en vert pâle, le sol composé de carreaux plus ou moins blancs, l’aspect typique des hôpitaux que redoutait Mattew depuis qu’il y avait vu mourir ses parents.
  Lorsque Mary poussa la porte de la chambre 307, Mattew ne put s’empêcher de verser une larme en posant les yeux sur tous les branchements qui reliaient son frère à la vie.
  -Je vous laisse, dit Mary, mais ne restez pas plus de dix minutes.
  -Merci.

  Mattew tira une chaise qu’il plaça près du lit et s’assit auprès de Peter. Voir sa poitrine se soulever avec un rythme régulier et entendre l’électrocardiogramme délivrer un petit son toutes les une ou deux secondes le rassuraient. Il posa sa main sur la sienne en prenant grand soin de ne pas comprimer la perfusion qui sortait de son bras si bien qu’il l’effleurait à peine.
  -Si tu savais comme je suis désolé… En comme je t’en veux… Qu’est-ce que tu as fait de Molly !! Hein !! Qu’est-ce que tu as fait ?! cria-t-il en pleurant.
  -Tout va bien ici ? demanda l’homme en blouse blanche qui venait d’entrer.
  -Je… désolé…
  -Je dois vérifier ses constantes vitales, si vous voulez bien attendre dehors quelques minutes…
  -Oui bien sûr. Répondit Mattew en essuyant ses larmes à sa manche.

  Quand Mattew fut sorti de la pièce, l’homme extirpa délicatement une seringue de sa poche ainsi qu’un tout petit flacon avec une inscription à la main « digitaline ». Il remplit la seringue de produit et s’approcha du sac de perfusion.
  -A nous deux. Murmura Florian.

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