Molly

Molly

Mercredi 11 août 2010 à 11:31

  Gregory errait dans son bureau. Les photos prises quelques heures plus tôt étaient à présent punaisées sur un immense tableau en liège qui couvrait presque toute la largeur du mur du fond. Cette nouvelle enquête redonnait un peu de piment à sa vie. Il avait désormais un but, devait sortir de son état quasi végétatif.
  A la mort de Margaret, il avait absolument tout tenté pour essayer de comprendre les raisons qui auraient pu la pousser à commettre un tel acte. Il avait questionné ses amis, fouillé son ordinateur portable, consulté tous ses mails, épluché les factures téléphoniques, visionné des heures et des heures de vidéos prises par la caméra de surveillance, faisant ainsi des bonds dans le passé de plusieurs mois…mais rien d’anormal. Absolument rien. Rien ne la prédisposait à se suicider. Et pourtant…on ne se suicide pas sur un coup de tête. 
  La première année, il avait culpabilisé, se disant qu’il aurait du être plus présent : il avait manqué les six premiers mois de la vie de sa fille, avait même failli être absent lors de l’accouchement…Peut-être que Margaret se sentait trop seule et qu’il n’avait rien vu…Peut-être…Gregory haïssait les théories, seul le concret avait sa place dans sa vie. Alors plongé dans le flou, sans aucune piste à laquelle s’accrocher, il s’était noyé et commençait à peine à refaire surface.

  Sa propre enquête piétinant, cela faisait bien longtemps qu’il n’avait pas eu le courage d’accepter la demande d’un client.
  Il espérait que la disparition de Molly avait un lien avec ce mystérieux inconnu qui était venu demander l’heure à sa mère. Si la ressemblance avec Mattew était si frappante qu’elle le disait, alors ce n’était pas un hasard. S’il trouvait cet homme, il était persuadé qu’il pourrait trouver la petite fille. Mais encore faudrait-il qu’elle soit toujours en vie…

  Cette nuit-là, Gregory resta dans son bureau, fixant les photos, comme si le simple fait de les regarder pourrait lui apporter les réponses qu’il attendait. Il dormit à peine deux ou trois heures, assis à son bureau la tête posée sur une pile de dossiers regroupant toutes les recherches qu’il avait effectuées sur sa femme et sur laquelle la poussière s’était accumulée jusqu’à faire partie intégrante de la couverture.

  Quand Nora fut réveillée, il lui prépara son petit déjeuner habituel : des céréales bien trop sucrés à son goût mais la petite fille ne jurant que par la gamme Kellogg’s, il s’était fait une raison. Il la laissa devant Dora l’exploratrice (espérant sans trop y croire qu’elle finirait un jour par répondre à son personnage fétiche comme tous les enfants de son âge) et se dirigea vers la salle de bain dans le but de reprendre apparence humaine.

  A neuf heures tapantes, Clarence et Mattew Smith sonnaient à l’interphone. Gregory les fit monter et ils s’installèrent dans le bureau qu’il avait pris la peine de ranger grossièrement. Clarence semblait ne pas tenir en place, elle faisait tourner son alliance autour de son index, remuait les jambes, jetait des regards inquiets à son mari. Celui-ci laissait également transparaître une certaine angoisse qui s’accrut lorsqu’il exposa la situation au détective.
  -Nous pensons savoir qui a enlevé Molly. dit-il tout en essayant de rester calme.
  -Qui ?! demanda Gregory, dérouté par cette révélation.
  -Mon frère Peter. Clarence l’a reconnu sur une photo. Je ne crois pas au hasard. Le jour de l’enlèvement de Molly, cela faisait plus de trois ans que j’étais sans nouvelles de lui.
  -Il avait des raisons de vous en vouloir ?
  -Vous savez, toutes les familles ont leur bête noire, aucune n’est parfaite. Peter était accro à l’héroïne, il s’était même mis à dealer. Je croyais l’aider en le dénonçant à la police… Il a passé plus de neuf mois en prison. Le jour de sa sortie, je suis venu le chercher, mais il était déjà parti. Je ne l’ai plus jamais revu, je n’ai aucune idée de ce qu’il a fait depuis…
  -J’ai cru comprendre que vous habitiez Londres… Je suppose qu’il n’a pas purgé sa peine en France…
  -Non c’est exact, il a été incarcéré dans la prison de Shrewsbury, aux abords du pays de Galles.
  -Il n’avait donc aucune raison de venir en France, plus précisément à Bordeaux ?
  -Non. Comme je vous l’ai dit, je ne crois pas aux coïncidences, j’ai traversé la Manche pour des raisons professionnelles. Je ne connaissais absolument personne ici. Peter a toujours été un fervent patriotique bien que pendant les dernières années il se soit montré plutôt hostile aux lois anglaises… Je ne l’imagine pas quitter son pays… S’il l’a fait alors on peut s’attendre au pire…

  Gregory prenait en note tous les éléments susceptibles de l’aider, il parvenait ainsi à dresser le portrait de Peter et ce qui s’en dégageait ne l’inspirait absolument pas. Des junkies, il en avait connu un bon nombre durant sa carrière, le qualificatif de « critique » était souvent associé à des affaires concernant ces personnages en mal-être profond, en total désaccord avec la société dans laquelle ils évoluaient. Quelques mois après la mort de Margaret, il avait lui-même était tenté par la poudre blanche. Il croisait presque tous les jours ce revendeur en bas de chez lui. S’en procurer se serait avéré d’une simplicité extrême. Mais il y avait Nora et il n’avait pas le droit de la faire souffrir encore davantage.
  Gregory arracha la page du bloc note sur laquelle il écrivait et la plaça sur une étagère à sa portée.

  -Clarence, êtes-vous sûre que c’est bien l’homme que vous avez rencontré le 16 mai ? questionna Gregory.
  -Certaine. J’avais oublié son visage mais le voir en photo… C’est comme si je l’avais en face de moi, je revis la scène.
  -Bien. Je vais donc vous demander de ne rien faire. Quand je dis « rien » je le pense vraiment ok ? Vous n’essayez pas de chercher des infos sur lui, vous n’appelez pas ses anciens amis, vous ne contactez pas la prison, vous ne tapez même pas son nom dans la barre de recherche Google ! J’ai vu trop souvent des clients essayer de résoudre eux-mêmes leur affaire dès que je leur apportais une piste convaincante, et croyez-moi, dans quatre-vingt dix pourcent des cas, l’échec s’avérait cuisant et extrêmement difficile à rattraper. Si vous avez fait appel à moi, c’est pour que je vous aide, alors laissez-moi faire. Dès que j’aurai appris quelque chose, vous en serez informés mais je ne veux pas, pardonnez-moi l’expression « vous avoir sur le dos ». Si jamais j’ai besoin de vous, je vous le ferai savoir.
  -Parfait. Répondit Mattew qui semblait avoir retrouvé toute son assurance. En ce qui concerne votre salaire, je vous propose mille deux cent euros par semaine, et je veux que vous me listiez l’intégralité de vos frais, que ce soit pour vos déplacements, pour une chambre d’hôtel, même pour vous payer une arme si ça vous chante… Tout vous sera payé.
  -Entendu, la liste vous sera envoyée par mail tous les jours. Vous connaissez le chemin, je ne vous raccompagne pas. Dit Gregory en serrant la main que lui tendait Mattew.
  -Non ça ira, merci. Répondit à son tour Clarence en posant sur lui des yeux remplis d’espoir et en plaçant près de ses notes la photo de Molly. J’y tiens, ne la perdez pas.
  -J’essaierai.

  Sur la photo, elle avait à peine deux mois mais déjà de sublimes yeux bleus, et une fine épaisseur de mèches blondes. Il ne put s’empêcher, lui aussi, de l’imaginer en Emilie Jolie.

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